Petit rappel : le Va-et-vient est un échange entre auteurs qui écrivent un texte, illustré ou non, sur le blog de l’autre. Les cinq premiers volets sont publiés dans la catégorie Va-et-vient.
Installez-vous dans le théâtre de Jérôme pour découvrir sa vision du thème du mois : « Une croix au sol » !
Vous pouvez lire ma contribution dans ses Carnets Paresseux (c’est l’occasion de retrouver deux personnages d’un précédent échange…).
D’autres croix au sol ont été localisées sur le blog Métronomiques de Dominique Hasselmann et dans les Promenades en ailleurs chez Marie-Christine Grimard.
Le thème du n°7 , publié le vendredi 03/11, est « Un souvenir futur ». Alors on revoit Retour vers le Futur, on pousse la DeLorean à 88 miles à l’heure, et c’est parti !
Bonne représentation avec la plume de Jérôme !
Une croix au sol
Côté jardin, trois arbres font un pauvre bosquet.
Côté cour, une orangeraie inutile.
En fond de scène, paysage indifférent ; une balustrade à balustres courre en pure perte du jardin à la cour. Sur l’avant-scène, un banc et quatre chaises dont on pourrait aisément se passer.
Au centre de la scène, un arbre.
Perché, un corbeau.
Au sol, déambulant entre cour et jardin, tournant autour du tronc, un renard.
Il s’arrête en mirant le sol :
Le renard :
Hé, c’est quoi, ça ?
Une barre dans un sens, une barre dans l’autre sens…. Un icks, ou peut-être un igrec très mal dessiné ?
Deux els accolées par la pointe inférieure ?
Plus probablement un plus d’arithmétique. Ou un négal vraiment raté ?
Est-ce que par hasard quelqu’un a fait ici l’école forestière ?
Le corbeau fixe l’horizon.
Le renard fait le tour du tronc :
Non, qui dit leçon dit répétition, et non, il n’y a pas d’autre gribouillis.
Zut alors, je sais ce que c’est, je l’ai sur le bout de la langue, mais pas moyen de mettre le doigt dessus.
L’acteur jouant le renard évitera soigneusement de mimer la réplique en portant un doigt dans sa gueule.
Hé, camarade perché, tu n’m’aiderais pas ?
Le corbeau, même jeu.
Le renard :
Non ? Motus ? Bonjour la solidarité animale ! Je vais encore devoir me débrouiller tout seul. Quand je saurai à quoi ça sert, je saurai comment ça s’appelle. Voyons, observation, analyse, déduction : même si deux coups de craie jamais n’aboliront le hasard, c’est dessiné, postulons qu’il y a un dessein. Ça doit indiquer, localiser, baliser, faire partie d’un plan. Quatre traits : les quatre points cardinaux ? Une boussole sans aiguille ? ça n’doit pas trop marcher.
L’emplacement d’un trésor ? Faudrait creuser ? Comme dans la fable du laboureur… « travaillez, prenez de la peine », quelle morale laborieuse… et puis je suis un prédateur omnivore et opportuniste, pas un travailleur de la terre ! Pas question que je me reconvertisse dans le foin ou le colza… Et puis creuser sous un arbre, entre les racines ? Un truc se prendre une branche sur le museau.
Le renard fait le tour de l’arbre, regarde à gauche, à droite, en haut :
Hé, camarade perché, ça indique quoi à ton avis ? Ça te ferait mal de me donner un indice ?
Le corbeau, même jeu. Le renard :
Tu te prends pour un Sphinx ailé qui garde ses énigmes ? Une Ginette Mathiot volante jalouse de ses recettes ?! D’accord, aides pas, mais viens pas réclamer ta part quand j’aurai trouvé.
Un temps. Le renard et le corbeau, même jeu.
Depuis l’temps qu’tu es perché là-haut, tu pourrais au moins me dire si c’est statique ou si ça évolue. Si ça rapetisse ou si ça s’agrandit. C’n’est pas vraiment un indice, hein, c’est le lot commun : chacun s’accroit.
Le corbeau, même jeu. Le renard :
Non. Tu sais ce que je crois ? Tu n’l’avais peut-être même jamais vu avant qu’j’n’arrive. N’sais pas c’qu’ça indique. Ni comment qu’ça s’appelle !
Le corbeau, soudain excédé :
Croa, croa, croa !
Le renard :
Je savais que tu savais. Merci camarade !
Un temps.
Un fromage tombe du ciel, pile sur la croix.
Un temps.
Le rideau, idem.
***
Texte : Jérôme Decoux. Photographie : Théâtre Gemier, vue générale de la scène (théâtre sous chapiteau, photographie de presse : Agence Rol)
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